Chasing whales

 

Au fur et à mesure de voyages dans des régions au climat polaire et subpolaire (voir le projet Arctic Circle), où les activités halieutiques sont particulièrement développées, j’ai pu observer de nombreuses traces de la présence de cétacés (vivants ou non) et du lien entre ces espèces et la nôtre. J’éprouve une certaine fascination à l’idée que les ancêtres des populations actuelles chassaient, sans les technologies actuelles, ces géants des mer, poussés par le manque de ressources. De ces pratiques de subsistance découlent aujourd’hui des cultures où les cétacés sont utilisés par exemple comme emblème, ou peuvent être encore chassés par tradition. Animé·e par ma formation d’archéozoologue, je documente ces pratiques et la présence de ces espèces durant mes voyages, toujours à l’argentique.

During some travels in areas with polar and sub-polar climates (see the Arctic Circle project), where fishing activities are particularly developed, I have observed many traces of the presence of cetaceans (alive or not) and of the link between these species and our own kind. I’m fascinated by the idea of the ancestors of today’s populations hunting these giants of the sea, without today’s technology, driven by a lack of resources. Today, these subsistence practices have given rise to cultures where whales are used as emblems, for example, or are still hunted as a tradition. Driven by my training as an archaeozoologist, I document these practices and the presence of these species during my travels, always on film.

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Hébrides extérieures (2024)
De nombreux artéfacts liés aux cétacés sont encore visibles sur certaines plages de cet archipel, actif dans la chasse à la baleine au début du XXème siècle. Les restes de la station baleinière de Bunavoneader sont encore visibles.

Við Áir, Féroé (2023)
Við Áir est une station baleinière désaffectée sur l’île de Streymoy dans l’archipel des Féroé. Elle a été en activité de 1906 à 1984 et a été gérée par des entreprises norvégiennes. C’est la seule station encore debout dans l’archipel. Les autres ayant cessé leur activité dans les années 1910 ou 1920, elles ont depuis été détruites.

Við Áir, Féroé (2023)
Une vertèbre de baleine ou rorqual dans la station baleinière désaffectée de Við Áir, parmi d’autres ossements de cétacés.


Við Áir, Féroé (2023)
Un baril en acier Corten qui servait probablement à stocker de l’huile de baleine, dans la station baleinière désaffectée de Við Áir.

Við Áir, Féroé (2023)
A gauche, des vertèbres de grands cétacés.  Au milieu, des mandibules et des fragments de côtes. A droite, un système de treuil qui permettait de remorquer des carcasses de baleine sur la plateforme où elles étaient ensuite découpées. Plusieurs barils se trouvent en-dessous de la plateforme, ce qui permettait d’y récolter directement l’huile ou la viande.

Norðdepil, Féroé (2023)
Norddeble était une station baleinière à Norðdepil, en activité de 1898 à 1912. Elle a notamment permis l’exploitation de baleines bleues et la production de milliers de barils d’huile de baleine. Une tentative de relance de son activité en 1920 a échoué. Elle n’existe plus, mais par chance, l’indication de son emplacement m’a permis d’en repérer des traces. On peut notamment observer ces deux poteaux en bois dans la mer, indicateurs d’une ancienne construction.


Norðdepil, Féroé (2023)
De nombreux fragments d’objets en acier sont encore visibles à l’emplacement de la station baleinière de Norddeble. Ce fragment pourrait être l’extrémité d’un harpon, arme projetée dans la chair des baleines. Mes pieds donnent une idée de la taille.


Norðdepil, Féroé (2023)
Dans les strates de terre qui longent la plage, au niveau de l’emplacement de la station de Norddeble, j’ai pu trouver quantité de fragments d’os. Leur taille indique qu’il s’agit de restes de grands cétacés. J’ai pu récolter des fragments très fragiles de vertèbres qui ont probablement un siècle. Malheureusement, la nature du sol entrainant une destruction de restes osseux en quelques décennies, je n’ai pas pu trouver d’os entiers.

Hvalvík, Féroé (2023)
Deux jours après avoir entendu parler d’un potentiel grindadráp (chasse traditionnelle des cétacés aux îles Féroé), nous nous rendons à Hvalvík. Nous n’observons rien sur le port, mais nous trouvons des cubes frais de graisse et de peau de globicéphales (Globicephala melas) sur la plage. Ce sont des témoins qu’un ou plusieurs animaux ont été découpés par l’humain récemment pour leur viande.

Sur le grindadráp :
Le grindadráp aux Îles Féroé : approche géographique d’une controverse environnementale, de Fabien Pouillon et Lionel Laslaz
Whale hunting in the faroe islands: a retrospective, de Katie Currid

Hvannasund, Féroé (2023)
Quatre jours après avoir entendu parler d’un autre grindadráp, nous nous rendons sur la plage de Hvannasund et trouvons un autre reste de cétacé. Là encore, la découpe ne laisse pas de doute quant au fait que sa viande a été récupérée.

Streymoy, Féroé (2023)
A gauche, les mandibules d’un grand cétacé forment une arche érigée dans un jardin de Hósvík, et à droite, d’autres mandibules dans un autre village. Nous parlons avec nos hôtes du grindadráp, de l’évolution des pratiques, des outils et de la persistance de cette tradition. Iels ont des outils de chasse accrochés au mur (comme une lance rachidienne), parmi d’autres souvenirs. Iels définissent le grindadráp comme une pratique communautaire de subsistance, pour récupérer de la viande et la distribuer de façon égalitaire, sans but commercial.

Norðoyri, Féroé (2023)
Nous discutons avec un homme trentenaire originaire de ce village. Il nous parle de son grand-père, chasseur de baleine de métier. Il nous dit que la chasse n’est plus pratiquée dans l’archipel aujourd’hui. Je suppose qu’il évoquait la chasse commerciale et non le grindadráp.

Streymoy, Féroé (2023)
Trois hypéroodons boréales (Hyperoodon ampullatus) ont élu domiciles dans ce fjord durant plusieurs semaines l’été. Nous y avons aussi repéré un dauphin commun (Delphinus delphis). Ces espèces ne sont habituellement pas chassées lors des grindadráps.


Suðuroy, Féroé (2023)
Je trouve cinq ou six vertèbres de cétacés de taille diverses sur une plage. Elles y sont depuis au moins plusieurs années et les tailles peuvent correspondre à du globicéphale ou de l’orque par exemple.


Suðuroy, Féroé (2023)
Nous trouvons un globicéphale (Globicephala melas) en décomposition depuis au moins plusieurs mois sur une plage. Nous n’observons à priori pas de traces de décès par l’humain ou de découpe, mais le stade de décomposition ne permet pas de tirer de conclusions.


Suðuroy, Féroé (2023)
Sur une plage nous trouvons un muret en pierre dont la base est tenue par dix crânes de cétacés. Les rostres sont plongés dans le sable et la structure osseuse de chacun a été très fragilisée par le milieu et les intempéries. Ils sont placés là depuis au moins plusieurs années.
Cela me questionne sur les pratiques de construction à base d’os de grands cétacés. Il en existe quelques traces dans la littérature, comme cette clôture sur l’île de Rømø au Danemark, construite en 1772 dans un contexte de vie insulaire où la chasse à la baleine se pratiquait. Le travail de Junko Habu and James M. Savelle met également en avant des recherches archéologiques sur des maisons construites en os de baleine dans la culture Thule (Arctique nord-américain) entre les XIème et XVIIème siècles. Nicholas Redman et Ingvar Svanberg, qui ont travaillé spécifiquement sur l’utilisation d’os de baleine dans les Féroé, mentionnent l’existence de murs faits de crânes de globicéphale (Globicephala melas) à la fin du XIXème et au début du XXème siècles, notamment à Klaksvík, Kvívík et Múli.
Il s’agit de régions où le bois est rare ou inexistant, ce qui pousser à être plus créatif·ve quant aux matériaux de construction utilisés.


Suðuroy, Féroé (2023)
Détail de la base d’un des crânes.

Tvøroyri, Féroé (2023)
Une mandibule de grand cétacé qui décore le parking d’un centre d’art. La plaque indique qu’elle a été trouvée dans les filets du chalutier Steintor (de Hvalba), près de l’Islande en 2021.

Cracovie, Pologne (2023)
Une mandibule de grand cétacé est accrochée au-dessus d’une porte de la Cathédrale du Wawel, qui daterait du Moyen Age. La légende raconte qu’il s’agirait d’un os de dragon polonais.

Burray, Orcades (2023)
Un jeune rorqual commun (Balaenoptera physalus) en mauvaise santé s’est échoué sur une plage de l’île de Burray en juillet 2020. Malgré l’assistance de vétérinaires, l’individu malade et malnutri est décédé le lendemain. Deux ans et demi plus tard, nous tombons sur les reste de la carcasse par hasard sur cette plage. La taille de l’animal (environ 17 mètres) et le climat froid ont permis une conservation partielle des restes : des tissus sont toujours présents entre les vertèbres et des tas de graisse jonchent la plage. Un partie de la colonne vertébrale a été attachée à la côte, probablement par volonté de mémoire.

Birsay, Orcades (2023)
Crâne partiel de baleine franche de l’Atlantique nord (Eubalaena glacialis), qui daterait des années 1870. Il est couvert de mousse.


Stromness, Orcades (2023)
Plusieurs maisons du village arborent des crânes, mandibules ou côtes de baleine en guise de décoration extérieure. Certains os décorent le rebord des fenêtres.
Le lien entre humains et cétacés semble être omniprésent dans l’archipel. Des archéozoologues se sont d’ailleurs penché·e·s sur ce lien à diverses périodes dans l’archipel, après la découverte de restes de cétacés ou d’objets en os sur des site comme The Cairns et Sanday.
Stromness était également un port d’étape pour les baleiniers jusqu’au XIXème siècle.

Balnakeil, Écosse (2023)
Sur la plage de Balnakeil, je trouve un arc hémal de grand cétacé (un petit os qui se loge sous les dernières vertèbres). Notre hôte a disposé plusieurs vertèbres de cétacés dans sa maison et son jardin, probablement trouvées sur cette plage.

Bunes beach, Lofoten (2021)
Les restes d’un grand cétacé sont visibles sur cette plage (principalement des fragments du crâne). D’après la taille il s’agit probablement d’une baleine bleu (Balænoptera musculus) mais je ne trouve pas d’informations sur le sujet.


Bunes beach, Lofoten (2021)
Nous trouvons également l’humérus d’un cétacé plus petit, qui pourrait être une orque (Orcinus orca).

Lofotr Vikingmuseum, Lofoten (2021)
Nous visitons le Lofotr Vikingmuseum, qui s’organise autour de la découverte de la plus grosse demeure viking, à Borg. Je discute d’archéozoologie avec une des guides. Les Lofoten n’offrant que peu de ressources et les stocks secs ne représentant que quelques mois d’alimentation, vikings et samis (peuples autochtones du nord de l’Europe), au Moyen-Age, avaient un comportement opportuniste. Iels chassaient notamment les baleines lorsque l’occasion se présentait, en rabattant des groupes de cétacés près du rivage (comme aux Féroé actuellement).
Même si ces pratiques de subsistance n’ont plus lieu d’être, la Norvège est un des rares pays où cette chasse est aujourd’hui autorisée, avec une réglementation stricte et seulement pour le commerce national. La guide me dit que les norvégien·ne·s continuent à en manger de temps en temps, par tradition.

Kvaløya, Lofoten (2021)
Deux dauphins ou globicéphales dans un fjord près de la plage.


Nesseby, Norvège (2018)
Nous trouvons le squelette partiel (probablement) d’un marsouin (Phocoena phocoena) dans les restes d’un feu. Les os ne présentent pas de signe de brûlure.

Mortensnes, Norvège (2018)
Nous trouvons d’autres restes osseux de petits cétacés de type marsouin (Phocoena phocoena) sur la plage.

Vardø, Norvège (2018)
La sculpture Drakkar-Leviathan sur l’île de Vardøya a été réalisé en 2016 par le collectif russe Taibola Assemble. Elle mélange des éléments propres au drakkar, au dinosaure, mais aussi à la baleine.