Deux foetus & des pattes

J’ai teasé sur ce post pendant environ un an, et le voilà enfin. J’ai juste mis du temps à nettoyer des pattes momifiées et à faire les photos. Mais aussi à l’écrire, parce que ça fait un post vraiment long, sur des stades de développements que je ne connais pas forcément très bien ; donc il y a probablement bien plus à dire sur le sujet que ce que je fais là. C’est surtout un post d’observation au final. Mine de rien j’y aurai passé du temps, et j’espère que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’en ai eu à l’écrire.

Une après-midi pendant une balade, j’ai aperçu des couvertures sur le coin d’un champ de blé. Elles étaient toutes fermées par une ficelle. J’ai trouvé cela intriguant et je les ai ouvertes. Bonne pioche : j’y ai trouvé un oiseau marin décapité avec les pattes attachées, des pattes de chèvre découpées et deux fœtus de la même espèce.


Sur ces trois photos on peut voir tour à tour l’oiseau, les fœtus (avec os, tissus mous décomposés et paille moisie mélangés), puis une patte. Ces photos là ont été prises avec un Zenit 11 et un film Fujicolor C100 périmé.


Après le nettoyage. J’ai lavé les os délicatement à l’eau chaude et au liquide vaisselle, et les ai ensuite plongés dans un bain d’eau oxygénée pendant 24h. Les os ne se sont pas éclaircis, je pense que cela est dû à la très importante porosité des os. Sur la droite on peut voir des os du crâne.


L’avantage d’avoir des individus de cet âge (ce qui est plutôt rare pour moi) est qu’il y a plein de choses à voir au niveau du développement osseux. Comme le squelette est en cours de développement, beaucoup d’os soudés à la naissance ou à l’âge adulte ne le sont pas à ce stade là. Chaque os du crâne est par exemple désolidarisé et cela demande un certain travail de reconstitution, pas forcément nécessaire, mais j’aime bien reconstituer les crânes ^__^. (Par contre je vous déconseille fortement cette colle Carrefour, elle ne colle pas grand chose, je préfère nettement la Scotch Gel Glue).


Les deux fœtus semblent être au même stade de développement prénatal (avec l’un plus grand et plus poreux que l’autre). J’ai différentes idées sur la situation : il pourrait s’agir de jumeaux, avec une grossesse qui n’est pas arrivée à terme ( les grossesses gémellaires tournent régulièrement mal chez les moyens/grands herbivores) ou sans problème au niveau de la grossesse mais avec éleveurs qui ont décidé de consommer la mère (mais au niveau de la gestion d’un élevage, cela n’aurait pas de sens). Peut-être que ces fœtus ne proviennent pas de la même mère.


Le moins poreux des deux, dont j’ai réussi à assembler à peu près le crâne.


Tous les os ne sont pas présents sur cette photo, comme les phalanges, que je n’ai pas réussi à différencier, ou les vertèbres, qui sont chacune en plusieurs morceaux.


Là on voit bien que les coxaux sont chacun en (au moins) deux morceaux, ainsi que le sacrum (la partie de la colonne vertébrale qui s’articule avec le coxal, pour faire la jonction avec les membres postérieurs).


J’aurai dû penser à faire une photo du crâne éclaté avant de le coller.


Concernant le crâne de droite, il manque des os au niveau facial, mais j’ai mal aussi mal collé le maxillaire gauche (impossible à décoller sans l’abimer).


En dessous on peut voir qu’il manque pas mal d’os à ces crânes, mais aussi que les dents déciduales (de lait) commencent à peine à émerger.


Les os que je n’ai pas pu attribuer à l’un ou l’autre des individus, et qui font donc défaut sur les photos des squelettes étalés.

chevre31.jpg
Je pense qu’il s’agit de fœtus, car le squelette est en place, mais différents os soudés à la naissance ne le sont pas encore sur ces individus. Il y a par exemple les métapodes (les os entre phalanges et carpes/tarses), qui sont ici au nombre de deux par pattes et ne sont pas encore soudés entre eux (je les ai par contre collé par paire, mais ils seront plus visibles sur une autre photo plus bas – en vert sur la photo). Je ne pense pas qu’un nouveau-né serait capable de tenir debout sans ces os soudés. L’écaille de l’os occipital (en violet – à vrai dire, je ne l’ai pas du tout retrouvée, ni pour l’un ni pour l’autre) n’est pas encore soudée aux os pariétaux (en bleu). En tout cas les spécimens néonataux vendus sur le site Skulls Unlimited semblent beaucoup plus matures/âgés.


Voici les pattes trouvées avec les fœtus : à gauche c’est un métatarse gauche d’une jeune chèvre (moins de deux ans), et ensuite il s’agit de trois extrémités de pattes d’une adulte : patte antérieure gauche, droite, puis postérieure droite. Elles ont toutes été coupées par l’homme, au niveau des os du poignet ou de la cheville (les petits os en haut de chaque patte, qu’on appelle carpes et tarses).


On voit nettement les traces de découpe sur les talus. C’est très classique : quand on consomme ces animaux, le bas des pattes est éliminé tout de suite au niveau des poignets/chevilles car c’est une partie qui n’a rien de consommable. J’imagine que c’est pour cela que l’on trouve autant d’objets dans les vides-greniers façonnés avec des pattes de chevreuil (wink wink Émeline) : il n’y a rien à manger dessus donc autant en faire quelque chose pour ne pas gaspiller. C’est également pour cette raison que beaucoup d’outils préhistoriques ont été façonnés dans des métapodes d’herbivores.


Les deux chèvres dont proviennent ces pattes ont donc probablement été consommées. Il est possible que l’adulte avec les trois pattes coupées soient la mère d’un ou des fœtus (mais encore une fois, c’est juste une hypothèse, il n’y a peut être aucun lien entre ces individus autre que leur éleveur). En tout cas, s’il s’agit de la mère, il y a une certaine logique avec les découpes et les parties retrouvées : l’éleveur a dû retirer peau, organes, fœtus et bas des pattes, et tout jeter pour garder la partie de la carcasse contenant la viande (et éventuellement faire une découpe plus précise plus tard pour séparer les morceaux).

Sur les photos suivantes vont être comparés des os des fœtus avec des os de ces deux chèvres (majoritairement l’adulte).


Ici il s’agit des métatarses (dans l’ordre, adulte, juvénile, puis fœtus ; droit pour l’adulte et le fœtus ; et gauche pour le juvénile). Cet os correspond en fait à deux métatarses soudés (j’en ai déjà parlé dans un post précédant), les III et IV. Durant le stade fœtal, les deux os ne sont pas encore soudés et sont totalement indépendants l’un de l’autre. A l’âge adulte, ils sont soudés, et si l’on coupe cet os horizontalement, on voit bien deux chambres séparées l’une de l’autre par un septum, vestiges de cette séparation. Chez l’homme par exemple ces os n’ont pas fusionnés, et sont au nombre de cinq par pied. Cette fusion chez les Cetartiodactyla résulte d’une évolution de leur morphologie, adaptée à la façon de se déplacer. Il manque l’extrémité distale chez le juvénile (les poulies qui s’articulent avec les phalanges), et les deux chez le fœtus. Même sans les poulies, on voit que le bas de l’os chez le fœtus est assez informe par rapport au juvénile.


A gauche, comparaison de deux métacarpes gauches (adulte + fœtus), et de phalanges I, II puis III (de haut en bas).


Les phalanges I. Sur celles des fœtus, les extrémités distales sont présentes mais pas les proximales, qui devaient être encore sous forme de cartilage (?).


Idem sur ces phalanges II.


Sur ces phalanges III, l’extrémité proximale n’est pas non plus présente.


Comparaison des vertèbres, avec des vertèbres lombaires (celles du bas du dos) adultes de Caprinae d’espèce inconnue (chèvre ou mouton). J’ai organisé les vertèbres des fœtus en trois groupes : à gauche les processus épineux (la partie haute) des vertèbres thoraciques (celles au niveau de la cage thoracique) ; au milieu les corps vertébraux, où se situent les surfaces articulaires pour assembler les vertèbres entre elles (donc la partie basse) ; et à droite les processus transverses (les parties latérales).
A ce stade fœtal, les vertèbres sont encore en trois parties non-soudées (ou quatre dans le cas des vertèbres thoraciques, avec le processus épineux).


Les corps vertébraux.


Comparaison de l’ulna et du radius, avec ceux d’un Caprinae adulte d’espèce inconnue (chèvre ou mouton). Ce sont les os de la partie distale des pattes antérieures, qui se soudent entre eux à l’âge adulte chez les Caprinae. Chez ceux du fœtus, il manque les extrémités des deux os, qui sont en plus loin d’être soudés entre eux.


J’ai quand même pu récupérer une partie des os hyoïdes (mon doigts sert vaguement d’échelle).


Comparaison entre un calcanéum (os de la cheville) de chèvre adulte et un de fœtus.


Comparaison de mandibule gauche, avec celle d’un Caprinae adulte d’espèce inconnue (chèvre ou mouton). Il n’y a pas encore de diastème chez le fœtus (espace de la mandibule entre les prémolaires et les dents labiales). Chez le fœtus, les dents déciduales ne sont pas encore sorties et l’extrémité au niveau des incisives est assez informe.


Quelques incisives déciduales des fœtus, avec la racine ouverte (ce qui permet au sang de circuler pour qu’elles se développent).


Comparaison de la première vertèbre cervicale (l’atlas), puis du sacrum, entre une jeune chèvre (d’une espèce sauvage, mais ça reste très similaire) et le fœtus. Pour le fœtus, je n’ai qu’une partie de ces os à chaque fois.


Comparaison de l’os coxal droit, puis des sternèbres (les os du sternum), entre une
jeune chèvre (d’une espèce sauvage) et le
fœtus. Le coxal est en fait composé de trois os : l’ilium, l’ischium et le pubis, qui se soudent entre eux au niveau de l’acétabulum (surface articulaire dans laquelle s’insère la tête fémorale). On a les deux premiers pour ce coxal droit de fœtus mais il manque le pubis.


Une photo de famille avec différentes variétés/espèces de chèvre, avec de gauche à droite, une chèvre juvénile sauvage, une seconde chèvre juvénile sauvage (mais plus jeune), une chèvre domestique adulte (vieille) de variété naine, et un des fœtus de chèvre domestique. J’aurai adoré avoir un crâne de chèvre adulte domestique non naine et un crâne de mouton à vous montrer avec eux, mais ce sera pour une prochaine fois.


Le crâne de chèvre sauvage juvénile avec le premier foetus. La forme, même à ce niveau de développement fœtal, est quand même très caractéristique.


Et pour finir, une photo backstage, parce que je voulais vous montrer ce que ça donne quand je fais des photos pour les posts ostéo :).

3 réponses sur “Deux foetus & des pattes”

  1. Hey! Ton blog est vraiment super chouette, j’adore tes études de squelettes comme celle-là.
    (j’ai d’ailleurs trouvé ton blog en cherchant à identifier une vertèbre super cheloue… Peut être que tu pourrais m’aider à l’occaz)
    Et j’adore tes photos.
    Bref, je reviendrais fouiner par ici de ça de là.
    Keep up the good work comme on dit 🙂
    TBDK

  2. je suis quand même effarée par cette découverte… pourtant c’est tellement plus que probable: vieux colis qui pue dans un champ = cadavre
    c’est quand même dingue, n’importe quel pleupleu peut quand même se douter que même vaguement enterré c’est mieux que ça non? rien que pour l’odeur et les maladies…

    Bon vous me direz j’ai déjà eut le coup de la vieille dame qui enterre son chat dans une couverture, un charmant mix des deux…

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